La montée des eaux du lac Turkana : quand un ami devient une menace
Comprendre les changements des régimes hydriques et du climat, pour prendre des mesures adaptées.
Depuis des millénaires en Afrique, les communautés locales ont tissé des liens étroits avec leurs lacs et rivières. Les habitants vivent dans des villages le long de grandes étendues d'eau, comme le lac Turkana, qui se situe à la frontière entre le Kenya et l'Éthiopie. Les pêcheurs locaux vivent de leurs prises provenant des eaux couleur de jade du lac, et les enfants jouent dans les eaux peu profondes, à distance des crocodiles et des hippopotames. L'adage selon lequel l'eau douce est une source précieuse de vie prend tout son sens dans le cas du lac Turkana, le plus grand lac permanent en zone désertique au monde.
Défi
Le lac Turkana et ses bassins versants, y compris celui de l'Omo, sont vitaux pour la population, l'économie et la vie sauvage du Kenya et de l'Éthiopie. Le delta de l'Omo et le lac Turkana sont riches en biodiversité, abritent des espèces menacées telles que le flamand rose, et leurs poissons sont importants pour l'économie locale.
La région entourant le lac Turkana est vulnérable à la sécheresse. Ces derniers temps, l'inquiétude est plus forte en raison des faibles niveaux du lac, du fait du changement climatique et de la construction d'un barrage sur l'un des principaux affluents du lac, l'Omo, qui arrive d'Éthiopie et se jette dans la partie nord du lac.
Cela a donc été une surprise pour beaucoup lorsque des inondations dévastatrices1 ont frappé les constructions au bord du lac en 2020, endommageant les moyens de subsistance de milliers de personnes, détruisant les maisons et impactant la faune sauvage.
Cependant, une étude récente du Centre UNEP-DHI, pour le compte du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), indique que de telles inondations pourraient devenir plus fréquentes dans les années à venir. Cette étude a révélé que le changement climatique pourrait augmenter la probabilité de sécheresse et d'inondations autour du lac Turkana en raison de précipitations erratiques, et que les moyens de subsistance pourraient être affectés si aucune mesure d'adaptation n'est mise en œuvre. La déforestation et la culture sur les pentes abruptes ont déjà entraîné des glissements de terrain, des inondations et la dégradation des terres.
L'étude a proposé un certain nombre de mesures pour remédier à la situation, mais toutes ne sont pas faciles à mettre en œuvre. Il s'agit par exemple d'améliorer le dialogue entre l'Éthiopie et le Kenya afin que les deux nations comprennent les avantages mutuels d'une gestion collaborative de la rivière Omo.
L'une des raisons pour lesquelles le lac Turkana est si vulnérable aux inondations est qu'il n'a pas d'exutoire naturel, ce qui le rend sujet aux changements en cas de hausse ou de baisse du débit d'entrée. Il est alimenté principalement par la rivière Omo et ses affluents éthiopiens. Au cours des dernières années, on a estimé que les débits naturels de ces rivières ont été affectés par un vaste plan de construction de barrages en Éthiopie. Ces barrages génèrent de l'électricité et facilitent la production agricole que l'Éthiopie considère comme essentielle à son développement.
1Modélisation du bassin et priorisation des interventions de réhabilitation (unepdhi.org)p. 80
Partenaire :
Lieu :
Éthiopie
Kenya
Objectifs de développement durable associés :
ODD 6 : Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable
ODD 11 : Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables
ODD 13 : Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions
Solution
Les études, telles que celle du Centre UNEP-DHI, peuvent constituer une première étape cruciale pour identifier et quantifier les causes profondes des inondations. Cette étude visait à :
- Établir une compréhension scientifique commune du lac et de ses bassins versants
- Mettre en place un système de surveillance pour le lac Turkana et ses bassins versants
- Évaluer les scénarios pour s'attaquer aux problèmes spécifiques et aux zones à risques identifiées, combiner les mesures d'adaptation, de réhabilitation et de développement des ressources en eau, et les projections liées au changement climatique
- Mettre en œuvre des démonstrations pilotes pour la réhabilitation des écosystèmes
Sur la base de modèles de scénarios détaillés, les travaux entrepris favorisent le dialogue et la diplomatie autour de l'eau entre les deux nations. Cela inclut l'identification d'initiatives pouvant aider à atténuer les effets du changement climatique, comme la construction de barrières autour du lac afin de limiter les risques d'inondation.
Un scénario a démontré qu'il est possible de maintenir et même d'améliorer la production hydroélectrique en Éthiopie tout en atteignant un certain équilibre des niveaux d'eau du lac Turkana. Cela exigerait que l’Éthiopie développe des sources d’énergie alternatives pour la saison sèche. Si ceci était possible, cela permettrait de répondre à certaines des exigences écologiques du lac Turkana et des alentours, tout en respectant les besoins hydroélectriques de l’Éthiopie.
Un autre exemple de modélisation de scénarios a porté sur la reforestation, la conservation des sols et de l'eau. L'objectif était d'évaluer comment la reforestation, l'agroforesterie et les mesures de conservation des sols et de l'eau peuvent réduire les inondations, l'érosion des sols et les glissements de terrain. La conclusion est la suivante : la reforestation, l'agroforesterie, la conservation du sol et de l'eau ont un impact sur le bilan hydrique, le chemin emprunté par l'eau, ainsi que le bilan des sols et des nutriments.2En aval, « le risque de crue éclair et d’inondations en général est considérablement réduit » et il y aurait « une nette amélioration de la qualité de l’eau dans les rivières en aval, y compris moins de turbidité et moins d'E. Coli. »3
2Modélisation du bassin et priorisation des interventions de réhabilitation (unepdhi.org)p. 49.
3Modélisation du bassin et priorisation des interventions de réhabilitation (unepdhi.org)p. 53.
Résultats
Des pays comme l'Éthiopie et le Kenya qui partagent des ressources en eau peuvent bénéficier d'une coopération avec un impact positif sur le bassin, l'écosystème, l'économie et la population. L’Éthiopie et le Kenya ont maintenant accès à divers scénarios de planification et de gestion des ressources en eau qui se traduisent par des situations gagnant-gagnant et proposent un avenir meilleur pour le bassin de l’Omo-Turkana.
- Une augmentation de l'irrigation et d'autres prélèvements dans le bassin versant peuvent aider à contrebalancer l'augmentation des niveaux d'eau dans le lac Turkana du fait du changement climatique
- Il est possible de reproduire en partie les débits d'entrée saisonniers sur le lac Turkana pour maintenir l'activité de pêche et la production hydroélectrique sur le bassin
- Les mesures de reforestation et de conservation des sols et de l'eau peuvent réduire considérablement le risque de glissements de terrain et de coulées de boue
« Grâce à cette étude, nous sommes en mesure de démontrer comment utiliser des preuves scientifiques pour valider ou contester les théories en vigueur et pour montrer que des projets gagnant-gagnant peuvent être réalisés en étroite collaboration, au niveau des experts techniques, comme au niveau des décideurs. Le PNUE est désormais mieux placé pour soutenir le dialogue transfrontalier entre l’Éthiopie et le Kenya. Les autorités locales impliquées dans le projet ont renforcé leur capacité à étudier les questions environnementales dans leur bassin versant, ainsi que les causes profondes de ces problèmes. Ils ont également appris à évaluer les avantages de différentes solutions. »
Joakim Harlin, Responsable des écosystèmes d'eau douce
Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE)
À propos de notre partenaire
Depuis sa création en 1972, le PNUE est l'autorité mondiale qui définit le programme environnemental, veille à l'application cohérente de la dimension environnementale du développement durable au sein des Nations Unies et joue le rôle de défenseur officiel de l'environnement mondial. En savoir plus sur ses actions dans le domaine de l'eau : www.unep.org/explore-topics/water
